Comme dans du coton...
Ce matin j'ai déposé Sibylle à son cours de musique et me suis réfugiée à la bibliothéque comme à mon habitude. Les rituels rassurent à tout âge.
C'est un grand cube de verre, moderne, clair et calme. Une bibliothèque où l'on se sent bien dès que l'on en franchit le seuil. Aujourd'hui J'ai flâné dans les rayons, juste par plaisir, pour savourer nonchalemment le précieux temps de liberté que j'ai. Peut-être aussi parce que cela me rappelle l'époque où, étudiante, j'arpentais les rayonnages de la bibliothèque de la fac du Mirail. J'arrive encore à me rappeler cette odeur particulière que j'aime tant. Un mélange de poussière, de cuir et de vieux papiers, "l'odeur des temps passés" comme le dit si bien Murakami. On ne retrouve pas cette odeur ici mais qu'importe, le plaisir est là.
Je m'installe sur une chaise, dos à la baie vitrée qui s'ouvre sur la rue dans ce qui fait office de salle des périodiques.
Dehors, un homme jeune, pantalon large en coton kaki, pull blanc à rayures bleues, tennis jaune, traverse la rue avec un enfant dans les bras. L'enfant tient un ballon rouge dans ses petites mains. Et ces éclats de couleur dans le ciel et la rue qui se confondent dans les gris ravivent le présent comme un joli tableau le ferait sur un mur blanc.
Au hasard des rayonnages je débusque "La lenteur de Kundera". Je l'ouvre comme on ouvrirait une boîte à trésor. j'en lit un extrait :
"c'est la première fois qu'ils sont si près l'un de l'autre, et l'indicible ambiance sensuelle qui les entoure naît justement de la lenteur de la cadence". Oui, je me souviens et je souris, pour rien, pour tout, pour moi-même, pour cette pensée qui me traverse l'esprit et qui, une fraction de seconde plus tard n'est déjà plus.
Mais le sourire reste lui, jusqu'à ce que ma conscience du monde extérieur chasse ce petit moment de vide. Temps suspendu entre aujourd'hui et hier. Sourire à mon insu, chose qui m'arrive fréquemment ces temps-ci.
Cette semaine, en réunion au collège, une maman d'élève m'a réprimandé : " Je vous vois sourire mais c'est un problème auquel les parents d'élèves sont très attachés ! ". J'étais très loin en effet du problème du poids des cartables pour leurs chers enfants et mon sourire a rapidement disparu, consciente de l'impair que je venais de connaître. Juste sourire face à une pensée fugace et susciter en retour un regard étonné de la personne assise en face de vous dans le RER. Pas idéale comme situation...
J'ai continué de lire la lenteur mais cette fois en le survolant. Je ne relis jamais les livres et je commence à comprendre pourquoi. Je ressens le décalage entre ce que je suis en train de lire et l'image que j'en avais gardé en souvenir. Je me sens un peu déçue. La lecture d'un livre est liée à une époque de notre vie et le plaisir qu'on y trouve dépend sans doute aussi de notre état d'esprit, de notre sensibilité, de notre expérience. J'ai changé mais pas le livre et je ne suis pas sûre de l'apprécier à nouveau.
J'ai remisé Kundera dans son étagère. Dans mes mains à présent "Rue des boutiques obscures" de Modiano. J'avais beaucoup aimé" Dora Bruder" et j'étais curieuse d'en lire plus. Je me suis plongée dans cette ambiance cotonneuse où il est question de quête de soi, de reconstitution du passé, de traces laissées derrière nous.
J'ai glissé dans ce livre une feuille d'appel pliée en quatre, marque d'une possession toute relative. Dessus est griffonée une recette de purée de fêves au citron vert accompagnée de blinis à la menthe fraîche trouvée dans un magazine féminin. Mon écriture part dans tous les sens et je ne suis pas sûre de pouvoir me relire.
Je suis partie et je vous laisse avec lui.
Rue des Boutiques Obscure, Patrick Modiano.
"Je l'ai vu qui entrait dans le vestibule éclairé de l'immeuble. Il s'est arrêté et m'a fait un geste de la main. Je restais immobile, la grande boîte rouge sous le bras, comme un enfant qui revient d'un goûter d'anniversaire, et j'étais sûr à ce moment là qu'il me disait quelque chose mais que le brouillard étouffait le son de sa voix". p. 50
"Je crois qu'on entend encore dans les entrées des immeubles l'écho des pas de ceux qui avaient l'habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l'on capte s'il l'on est attentif. Au fond, je n'avais peut-être jamais été ce Pédro Mac Evoy, je nétais rien, mais des ondes me traversaient, tantôt lointaines, tantôt plus fortes et tous ces echos épars qui flottaient dans l'air se cristallisait et c'était moi" p. 124
1. 4. Quand la coquillette s'initie à la photographie
2. Des pas dans la neige
3. Ne suis-je pas jolie ?
5. Du réconfort contre le froid.